Accueil du site - 04 - Déroulement et enjeux - 08 - Terminale

Suite à l’interview de Luc Ferry : “La philosophie est très mal enseignée dans nos classes” La Croix 12 juin 2008

Publié le dimanche 15 juin 2008.


En fait Luc Ferry ne se trompe pas dans deux de ses analyses. Sur la notation d’abord. Il dit : « je peux vous dire que les écarts de cinq à six points sont archi-fréquents, malgré les commissions d’harmonisation des notes. J’ai pu voir de mes propres yeux la même copie notée 3 par un correcteur et 17 par un autre ! » Ensuite sur le programme, il dit : « En fait, notre programme est un avatar de la victoire du christianisme sur la philosophie grecque. Dans l’Antiquité, la philosophie n’était pas un discours, mais un apprentissage de la sagesse, une quête de la vie bonne. Le christianisme s’est approprié le monopole de cette recherche du salut. »

Où il se trompe c’est plutôt dans la relation entre les deux. Selon lui la notation serait « aléatoire » parce que l’on apprend la philosophie générale en terminale, « ce vague exercice « d’étonnement », de « réflexion » ou « d’esprit critique » qu’on leur demande d’avoir sur les notions au programme », et non pas l’histoire de la philosophie, « découvrir les grandes visions du monde qui ont scandé l’histoire de la pensée ». Ferry ne connaît que cette « histoire des idées » et se fourvoie sur ce qu’est l’enseignement effectif en terminale. Comment peut-il faire à ce point mine de rien ? N’est-ce pas lui qui a présidé le Conseil National des Programmes de 1993 à 2002 ? N’est-ce pas son ami Alain Renaud qui présidait le Groupe Technique Disciplinaire de philosophie et qui a été remplacé le 25 juin 2001 par Michel Fichant ? Les programmes actuels de philosophie datant de 2003 ne sont-ils pas le résultat de l’échec de Ferry-Renaud à faire passer leur propre programme pour l’enseignement de la philosophie ? (pour ce qui est de ces histoires Cf. le site académique de Toulouse et celui de l’Association des Professeurs de Philosophie de l’Enseignement Public ; en particulier APPEP, Le programme de philosophie en débat - 2000-2003 )

Mais la question est-elle vraiment là ? La notation est-elle vraiment « aléatoire » parce que le programme est « flou » ? Précisons d’abord que le programme n’est pas si « flou » que Ferry voudrait nous le faire croire en disant par exemple : « vingt ou trente ans après l’avoir étudiée, les gens n’ont toujours pas la moindre idée de ce que c’est [que la philosophie]... Un vague esprit critique, un art de la réflexion ? » Le texte des instructions officielles paru dans le Bulletin Officiel de l’Education Nationale n°25 du 19 juin 2003 est clair et précis. Il explique même ce que Ferry fait semblant d’ignorer : « L’enseignement de la philosophie en classes terminales a pour objectif de favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement, et de lui offrir une culture philosophique initiale ».

La finalité du programme y est aussi clairement indiquée : « La liste des notions et celle des auteurs ne proposent pas un champ indéterminé de sujets de débats ouverts et extensibles à volonté. Elles n’imposent pas non plus un inventaire supposé complet de thèmes d’étude que l’élève pourrait maîtriser du dehors par l’acquisition de connaissances spéciales, soit en histoire de la philosophie, soit en tout autre domaine du savoir. Elles déterminent un cadre pour l’apprentissage de la réflexion philosophique, fondé sur l’acquisition de connaissances rationnelles et l’appropriation du sens des textes. » Nous ne voyons donc pas en quoi de tels programmes vont à l’encontre, comme tente de nous le faire croire Ferry, de la compréhension de ce qu’est la philosophie ou même de connaissances d’histoire de la philosophie. Quoi qu’en pense Ferry la scolastique n’est pas tant un apprentissage par notions que par auteurs. C’était, en particulier Aristote, qui était l’auteur de référence universelle et indépassable.

Aujourd’hui Hegel n’a-t-il pas remplacé Aristote ? C’est pour cela que nous pensons que le programme actuel donne encore beaucoup trop à l’histoire de la philosophie. Les principes qui le gouvernent sont donc déjà déterminée philosophiquement, hegeliennement. C’est que le problème du programme de l’enseignement de la philosophie est de ne pas tomber dans l’enseignement d’UNE philosophie et donc dans le dogmatisme. Ainsi, l’idée même d’un programme pour enseigner la philosophie est une aberration. Il faudrait alors supprimer le programme car il ne peut s’agir que d’une entreprise dogmatique en contradiction avec l’idée même de philosophie.

Un programme meilleur, si cela a un sens, permettrait-il d’abolir l’arbitraire de la notation au bac ? D’abord, que veut nous faire croire Ferry en disant : « les écarts de cinq à six points sont archi-fréquents » ? Comme si ce n’était pas le cas dans les autres disciplines y compris les maths ! Cf. le début d’un débat sur la notation en SES en mars dernier (Cf. Le bac serait une "loterie" à notation "aléatoire" Nouvel Observateur . Si on considère que le bac est une « loterie », l’arbitraire de la notation en philosophie peut-elle alors venir du « flou » du programme ? Ne viendrait-elle pas plutôt des conditions déplorables d’enseignement au lycée et de correction du bac ?

Au lycée Victor Hugo à Poitiers, à la rentrée 2007, 10 classes de terminales sur 12 étaient à 35 élèves (2 L, 3 ES, 4 S et 1 STG ; seules 2 STG étaient à 24 élèves). Ces effectifs pléthoriques ne nous permettent pas d’avoir des conditions favorables pour enseigner correctement la philosophie à des élèves dont c’est la première année d’apprentissage et qui ont le bac à la fin de l’année. Et ce sont les élèves les plus en difficulté qui pâtissent de cet état de fait. Pour ce qui est des conditions de corrections du bac, il a déjà été fait appel l’année dernière à des retraités et à des professeurs de classes préparatoires, et nous avons des conditions de corrections beaucoup plus défavorables cette année. En ES, l’année dernière j’ai eu, en comptant 2 samedis et 2 dimanches, 14,5 jours pour corriger mes 95 copies. Ce qui m’a fait une moyenne de 6,5 copies à corriger par jour. Si on compte 1/2 heure par copie et c’est un minimum cela fait 3,5 heures de correction par jour, samedi et dimanche compris... Cette année j’ai 12,5 jours pour corriger 120 copies. Ce qui me fait une moyenne de 9,5 copies par jour. Soit presque 5 heures (si on ne compte pas le samedi et le dimanche : 7 heures de correction par jour !). Dans ces conditions : professeurs de classes préparatoires qui ne connaissant que l’élite et qui sont enclins à noter plus sévèrement et manque évident de correcteurs, l’arbitraire n’est-il pas la règle et l’égalité de traitement n’est-elle pas un vain mot ?”” »


Répondre à cet article