Enseigner la philosophie par le débat enfermé derrière 12 portes. Bilan Maison d’arrêt de Poitiers 2005-2006 par Jean-François Chazerans

Lorsque je suis allé la première fois à la maison d’arrêt pour enseigner la philosophie, je suis arrivé devant la lourde porte en acier massif peint en bleu. J’ai sonné et j’ai attendu. Après quelques instants qui m’ont paru longs, j’ai entendu un « glang » après quelques hésitations j’ai osé pousser la porte et suis entré dans la hall. J’ai entendu derrière moi le« glang » de la grosse porte qui se refermait. Là, j’ai encore attendu quelques instants qui m’ont paru longs. Et puis, j’ai entendu un autre un « glang » derrière une porte vitrée blindée à ma gauche. Je m’y suis dirigé, j’ai poussé la porte, je suis entré, j’ai entendu derrière moi le« glang » de la porte qui se refermait et me suis adressé au fonctionnaire protégé par une cage de verre pour me présenter. J’ai donné ma carte d’identité, je suis passé sous le portique détecteur de métaux, j’ai entendu le « glang » de la porte vitrée blindée devant moi. Je m’y suis dirigé, j’ai poussé la porte, j’ai entendu derrière moi le« glang » de la porte qui se refermait j’ai traversé la cour et, après quelques marches, je suis arrivé devant une autre porte que j’ai tenté en vain d’ouvrir. Après quelques instants qui m’ont paru longs, j’ai entendu un « glang ». J’ai poussé la porte et suis entré dans un hall. J’ai entendu derrière moi le« glang » de la porte qui se refermait et jJe suis allé vers les surveillants qui étaient dans la cage vitrée sur ma droite pour leur dire ce que je venais faire. J’ai entendu le « glang » d’une porte en métal massif derrière moi à gauche. Je m’y suis dirigé, j’ai poussé la porte et suis entré dans un sas, j’ai entendu derrière moi le« glang » de la porte qui se refermait. Après quelques instants qui m’ont paru longs, j’ai entendu le « glang » de la porte fabriquée en barreaux en acier, une grille, devant moi. Je m’y suis dirigé, j’ai poussé la grille et suis entré dans un grand couloir, j’ai entendu derrière moi le« glang » de la grille qui se refermait et me suis dirigé vers la grille à ma droite. Après quelques instants qui m’ont paru longs, un surveillant est venu m’ouvrir avec ses clefs. « Clac clac ». Je suis passé, le surveillant referme derrière moi, « clac clac » puis ouvre la grille sur la gauche qui donne sur un escalier, je passe et j’entends la grille qui se referme derrière moi « clac clac ». Je monte l’escalier et arrive devant une nouvelle grille au 2nd étage. Après quelques instants qui m’ont paru longs, un surveillant arrive et m’ouvre la porte « clac clac ». Je passe, le surveillant referme derrière moi, « clac clac ». Je me dirige vers l’école et passe la porte, une grille vitrée, qui est ouverte. Là je rentre dans la classe par la porte vitrée et sans barreaux qui est ouverte. Le débat philosophique peu commencer.

Il était prévu au projet que ce ne seraient pas des cours magistraux de philosophie. En effet, une préparation au Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires avait déjà été dispensée mais elle ne touchait que deux ou trois personnes et avait été abandonnée. L’objectif était, entre autres, de faire venir, à côté des de quelques privilégiés culturellement, un public qui n’y venait pas spontanément. Cela a été grandement favorisé par le fait que l’activité soit avant tout une pratique orale. L’activité n’a donc pas seulement mobilisé des étudiants du 1er et 2nd degré mais aussi des détenus qui ne savaient pas écrire et qui ne seraient jamais venus à l’école. Il faut préciser ici que le projet a été mis en place en partenariat entre les enseignants de l’école et un psychologue du Service Médico-Psychologique Régional.

Il y a eu 19 séances d’une heure et demie, entre 4 et 12 détenus par séance soit 133 présents sur 19 séances ce qui fait une moyenne de 7. Dans le projet nous avions pensé mettre en place une séance d’une heure et demie par quinzaine. Cela principalement pour la raison que le volant d’heures supplémentaires étant limité à 20, l’activité pourrait se dérouler sur l’année scolaire entière. Mais dès le début, il est apparu avec évidence qu’il fallait que la régularité soit hebdomadaire. Ceci pour au moins deux raisons :
  1) les débats répondaient à une vraie demande des détenus qui auraient du mal à attendre si longtemps entre deux séances
  2) le contexte de la maison d’arrêt : beaucoup de détenus en préventive, faisant qu’il y a un fort roulement, et l’objectif de fidéliser les détenus et constituer un noyau dur nous contraignait à raccourcir le temps entre deux séances.

J’ai donc accepté de venir toutes les semaines, quitte à venir bénévolement à la fin ce qui a été limité par l’obtention de plus d’heures supplémentaires.

Les sujets choisis ont beaucoup tourné au début autour des conditions de détention et la situation des détenus. Cela n’est pas étonnant puisque j’avais déjà remarqué que les individus et les groupes ont souvent tendance à utiliser le débat philosophique comme moyen pour régler leurs difficultés et leurs relations concrètes. Vu le quasi secret de ce qui se passe en prison et la tendance qu’a la société de l’occulter carrément, ce passage obligé était nécessaire pour que les détenus puissent m’exprimer, à moi qui suis de l’extérieur, leur vécu et puissent aller à l’encontre de la dénégation sociale. C’était aussi nécessaire pour moi d’écouter afin que je puisse porter mon regard, comprendre la situation, leur exprimer mon sentiment et témoigner à l’extérieur.

Une des conséquences de cette catharsis a été que le nombre des participants a diminué vers le milieu de l’année. En effet, certains détenus auraient préféré s’aérer l’esprit avec des sujet plus divers et, après avoir constaté qu’il s’agissait là encore de ce qu’ils vivaient tous les jours, ne revenaient plus. Peut être étaient-ils eux aussi dans le non-dit, le secret et la dénégation ? Peut-être aussi que certains problèmes ne peuvent être abordés qu’en petit groupe ? Toujours est-il que la phase de mis à plat a eu lieu. Le passage du débat-philo de 13h45 à 15h15 au lieu de 15h15 à 16h30, c’est-à-dire à un moment entrant en concurrence avec des activités physiques (musculation) et la promenade a désorganisé aussi un peu le groupe et a peut-être été une autre cause de désaffection. La venue de détenus qui ont détourné le débat pour leur propre intérêt, dirons-nous, a été une troisième cause de désaffection. Le bouche-à-oreille ayant très bien fonctionné, les participants ayant invités leurs amis, le public est devenu homogène et a fait progressivement fuir ceux qui était différents. Cela a été doublé par le fait que nous n’avions pas mis en place des règles de participation explicites. Les détenus, pour la philosophie comme pour n’importe quelle activité de l’école, s’inscrivent à l’avance pour toute les séances. Comme nous n’avons pas, comme cette année (2006-2007), décidé collectivement qu’un détenu ne venant pas trois fois de rang soit désinscrit pour laisser sa place à quelqu’un sur la liste d’attente (quitte à se réinscrire par la suite), les inscrits qui ne venaient pas ont bloqué l’accès aux nouveaux et ont empêché un moment l’hétérogénéité de s’installer. La fin de l’année s’est quand même déroulée avec un groupe un peu plus nombreux et beaucoup plus hétérogène.

Le bilan par rapport aux objectifs du projet est très positif. Concernant les objectifs philosophiques, les détenus ont pu s’initier à la pensée construite, rechercher l’autonomie de la pensée, user raisonnablement de la parole et aborder des problèmes philosophiques. Surtout au début et à la fin de l’année, la parole "intempestive" a été assez bien régulée pour privilégier l’écoute entre les participants. Concernant les objectifs citoyens, les détenus ont pu adopter une attitude citoyenne dans leur prise de position et réfléchir sur de vraies questions auxquelles l’individu ne trouve pas de réponses seul. Concernant les objectifs de développement personnel, les détenus ont pu développer l’estime d’eux-mêmes, d’entraîner et d’enrichir leur langage et de parfaire leur culture générale.

Objectifs pour l’année prochaine :
  élargir l’horizon : sans les occulter sortir des sujets sur les conditions de détention.
  Diversifier les détenus en diversifiant les sujets débattus.
  Les fidéliser en mettant en place des règles de participation.

Sujets proposés et choisis

27 septembre 2005 : proposition de sujets. [8 présents]

 Qu’est que les gens pensent de l’islam ?
 Quelle différence entre l’interdit et le fait de vivre l’interdit ?
 Est-il possible de comprendre une expérience qu’on ne vit pas ?
 Quelles sont les motivations des magistrats pour qu’aujourd’hui ils puissent enfermer quelqu’un ?
 Qu’est-ce qu’être emprisonné ?
 Qu’est-ce qu’être en liberté ?
 Est-ce qu’en France il y a la liberté d’expression ?
 Peut-on oublier d’où on vient ?
 Que pensez-vous du racisme ?
 Qu’est-ce que l’argent facile ?
 Qu’est-ce que l’égalité ?

4 octobre 2005 : [8 présents]

 Que pensez-vous du racisme ? Sujet Choisi

11 octobre 2005 : [6 présents]

 Quelles sont les motivations d’un magistrat pour donner une peine ? [6] Sujet Choisi
 Est-ce qu’il y a des situations où la prison peut aider les gens ? [5]
 Quel est le plus bel âge ? [4]
 Sommes-nous tous égaux ? [2]

18 octobre 2005 : [7 présents]

 Qu’est-ce que la justice ? [3]
 Pourquoi la prison ? [6]
 Qu’est-ce que le bonheur ? [5]
 Qu’est-ce que la philosophie ? [1]
 Est-ce que le bonheur des uns fait le malheur des autres ? [2]
 Quelles sont les motivations qui poussent au suicide ? [7] Sujet Choisi

8 novembre 2005 : [8 présents]

 Qu’est-ce qui se passe en banlieue ? [6] Sujet Choisi

15 novembre 2005 : [8 présents]

 Quelle différence entre l’interdit et le fait de vivre l’interdit ? [3]
 Pourquoi sommes-nous là ? [7]
 Qu’est-ce que l’égalité ? [3]
 Est-ce qu’on a chacun une responsabilité politique ? [5]
 Pourquoi vivre les différences ? [8] Sujet Choisi

22 novembre 2005 : [9 présents]

 Pourquoi la vie est-elle si injuste , [4]
 Pourquoi l’union européenne ? [2]
 Quelles sont les intentions d’une peine ? [5]
 Comment imagine-t-on le futur ? [2]
 Où est la liberté ? [8] Sujet Choisi

29 novembre 2005 [7 présents]

 Peut-on choisir de ne pas respecter la loi ? [4]
 Sommes-nous ce que nos parents ont fait de nous ? [3]
 Comment envisage-t-on la sortie après une lourde peine ? [7] Sujet Choisi

6 décembre 2005 : [8 présents]

 Pourquoi on monopolise la tristesse aux médias , [4]
 Pourquoi on nous met tout le temps à poil en prison ? [pas voté]
 La vie en détention [8] Sujet Choisi
 Le sexe dans la société ? [pas voté]
 A-t-on toujours besoin de règles ? [3]
 Pourquoi discrédite-t-on les pays pauvres ? [4]
 Les lentilles en prison ? [2]
 L’apprentissage à 14 ans ? [4]

13 décembre 2005 [6 présents]

 Les drogues ? [3]
 Qu’est-ce que la philosophie ? [3]
 Touki Williams [5] Sujet Choisi

3 janvier 2006 [9 présents]

 Pourquoi différencie-t-on les juifs et les arabes ? [4]
 Quelle est la différence entre un homme et une femme ? [4]
 Peut-on aimer ce qu’on a détesté ? [2]
 La colère est-elle bonne conseillère ? [3]
 Va-t-on vers une guerre de religion ? [7] Sujet Choisi
 Qui seront les détenus de demain ? [6]

10 janvier 2006 [12 présents]

 Qu’est-ce que l’immigration ? [1]
 Qu’est-ce qu’un ami ? [11] Sujet Choisi
 Qu’est-ce que la liberté ? [8]
 Qu’est-ce qu’une torture ? [2]
 Est-ce que le bonheur des uns fait le malheur des autres ? [7]
 Qu’est-ce que l’amour ? [6]
 Qu’est-ce que la guerre ? [6]

17 janvier 2006 [5 présents]

 Faut-il quelquefois mentir ? [3] Sujet Choisi
 Les plaisir est il un vice ? [1]
 Pourquoi se mettre minable ? [1]
 Est-ce un droit la sécurité ? [2]
 Est-ce qu’on peut dire : je ne fais pas de politique ? [2]

7 février 2006 [5 présents]

 Tout le monde est-il capable de créer ?
 Pourra-t-on supprimer les prisons ? Sujet Choisi

28 février 2006 [5 présents]

 Tout le monde est-il capable de créer ?
 Est-ce que sucer c’est tromper ? Sujet Choisi

7 mars 2006 [4 présents]

 Comment trouver le bonheur ? [2]
 Pour vivre au travers du regard des gens est-ce qu’on est obligé de se justifier ? [3]
 D’ou viennent les maladies psychosomatiques ? [4] Sujet Choisi

11 avril 2006 [5 présents]

 A quoi peut servir le dialogue ?
 Est-ce que tout le monde est capable de créer ?
 Comment se définir ? Sujet Choisi
 La réalité est-elle toute autre ?

2 mai 2006 [6 présents]

 Qu’est-ce que l’argent facile [4] Sujet Choisi
 Est-ce qu’on choisi sa vie ? [3]
 Peut-on rater sa vie ? [3]

Dernière séance 9 mai 2006 [7 présents]

 La beauté peut-elle nous aider à vivre ? [3]
 Tout le monde peut-il créer ? [1]
 Pourquoi ne pas donner de l’argent à tout le monde ? [5] Sujet choisi